3/La diplomatie économique des nouvelles puissances
parAlexandre Kateb
Maître de conférences à Sciences Po, directeur du cabinet COMPÉTENCE FINANCE, auteur du livre Les Nouvelles Puissances. Les BRIC dans le nouvel ordre mondial (à paraître aux éditions Ellipses au printemps 2011).
L e sommet de Pittsburgh en septembre 2009 a consacré le G20, qui regroupe les 20 plus grandes économies de la planète et représente 90 % du PIB mondial, comme le principal forum de discussion des grandes questions économiques et financières internationales, faisant du G7 une réalité historiquement datée, selon les mots du président brésilien Lula. Ce faisant le G20 a mis en lumière de nouvelles puissances, qui aspirent à jouer un rôle plus actif dans la gouvernance mondiale, au côté des économies du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Canada). Ces nouvelles puissances émergentes – ou ré-émergentes [1][1] Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la Chine était encore... – incluent les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) mais aussi des pays comme la Corée du Sud, l’Indonésie, le Mexique, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Arabie Saoudite ou encore l’Argentine.
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Ces puissances appartiennent à des ensembles géographiques et culturels disparates, et sont tributaires d’expériences qui leur sont propres. Il est donc difficile d’inférer, de l’étude des expériences nationales, des conclusions qui s’appliqueraient ad idem à l’ensemble de ces pays. Néanmoins, sur ce terrain par excellence de l’interaction entre action publique et initiative privée qu’est la diplomatie économique, les dynamiques à l’œuvre au sein de ces nouvelles puissances présentent des caractéristiques communes, que l’on peut relier au contexte dans lequel ces dynamiques s’inscrivent. C’est pourquoi, avant d’évoquer diverses expériences nationales, il convient de préciser ce que l’on entend par diplomatie économique, dans un contexte de mondialisation qui se traduit, nolens volens, par une diminution du rôle des États, et de leur influence sur des acteurs privés engagés dans des échanges qui transcendent les frontières politiques.
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La notion de diplomatie est de prime abord indissociable de celle d’État. On pourrait la définir comme la poursuite par des moyens pacifiques – c’est-àdire par la négociation – de certaines fins (puissance, sécurité) par des États engagés dans des relations avec d’autres États. Cette définition minimaliste et procédurale fait apparaître la diplomatie essentiellement comme un modus operandi, au service de fins qui la dépassent. Est-ce à dire que la diplomatie n’est que la continuation de la guerre par d’autres moyens, comme semblent le penser les théoriciens du courant réaliste, de Hans Morgenthau à Henri Kissinger, en passant par Raymond Aron ? Appliquée à l’économie, cette approche réactive la vieille idée mercantiliste de « guerre économique », que se livreraient les nations dans un jeu à somme nulle [2][2] Cette conception se retrouve sous des formes plus ou.... La diplomatie économique ne serait alors qu’une manière pour un État de renforcer sa puissance face aux autres États, en se servant des moyens de l’économie : négociations commerciales internationales (de type GATT/OMC), mesures de soutien à l’expansion internationale des entreprises nationales, ou à l’inverse, mesures d’attraction des investissements étrangers sur le sol national.
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Mais, s’il est vrai que l’on ne peut évacuer le « nationalisme méthodologique » lorsque l’on aborde les questions de défense et de sécurité, qui touchent à la survie même des États, la transposition pure et simple d’une telle vision hobbesienne aux questions économiques et financières méconnaît profondément les interdépendances multiples, qui existent à l’échelle de la planète entre différents acteurs économiques, publics ou privés, indépendamment de leur « nationalité [3][3] Les réactions hostiles face à l’OPA de Mittal Steel... ». Ces interdépendances créent de facto un espace de représentations individuelles et collectives dégagées, en partie, des présupposés d’un référentiel stato-centré. Les diasporas aux identités multiples, à la fois d’ici et de là-bas, comme la diaspora d’affaires chinoise en Asie du Sud-Est, ou la diaspora indienne au Moyen-Orient et en Afrique orientale, mais aussi aux États-Unis, illustrent bien cette nouvelle donne transnationale.
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Autrement dit, comme le souligne Guy Carron de la Carrière [4][4] Voir G. Carron de la Carrière, La Diplomatie économique...., la prise en compte des transformations engendrées par la mondialisation éloigne de plus en plus la diplomatie économique des canons de la diplomatie régalienne traditionnelle. Ces transformations sapent « l’unité de temps et de lieu » de la diplomatie classique, en opérant à la fois par le haut, avec l’insertion des négociations économiques et commerciales dans un cadre multilatéral [5][5] On assiste ainsi à une « multilatéralisation » et à..., et par le bas, avec l’émergence d’une diplomatie non gouvernementale, dite de track II ou track III, selon la terminologie anglo-saxonne. Cette dernière est caractérisée par l’immixtion de différents groupes d’intérêts (grandes entreprises, lobbies d’affaires, ONG, diasporas, collectivités locales) dans le champ de la négociation internationale [6][6] La reconnaissance d’un statut pour les ONG à l’ONU,.... Dans ce contexte, même s’ils continuent de fixer l’agenda, les diplomates professionnels ne représentent plus qu’un pôle parmi d’autres, dans un jeu d’interactions complexes.
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À cet égard, il faut sans doute distinguer les États unitaires forts, comme la Chine ou la Russie, avec une tradition bien ancrée de centralisation des décisions politiques et administratives – ce que Vladimir Poutine appelle « la verticale du pouvoir » – qui se reflète dans les modalités et les formes de leur diplomatie économique [7][7] Cependant, même dans ces pays à tradition politique..., des grands États décentralisés comme le Brésil ou l’Inde, où la décision politique est le résultat d’un compromis, acquis de haute lutte, par la négociation entre une pluralité d’acteurs aux intérêts divergents, voire contradictoires. Ainsi, pour prendre l’exemple du Brésil, quelle cohérence doctrinale y a-t-il, a priori, entre la position de ce pays en faveur d’une libéralisation totale des échanges agricoles, visiblement inspirée par le lobby de l’agrobusiness, et sa revendication, au côté de l’Inde et de l’Afrique du Sud [8][8] Ces trois pays ont créé en juin 2003 le groupe IBSA..., pour un traitement différencié en matière de droit des brevets pharmaceutiques ?
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