Les formes et les pratiques de la diplomatie économique
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1/Diplomatie économique et compétition des États
parÉric Denécé
Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).
A u début des années 1990, la victoire du libéralisme sur le communisme a permis à l’économie de marché de s’imposer. Mais ce succès a paradoxalement entraîné le retour du rôle du commerce comme domaine principal de compétition entre les nations. Ainsi, s’est produit le transfert de la conflictualité internationale du champ militaro-idéologique vers le champ économique et culturel. Les affrontements entre États sont désormais essentiellement de nature commerciale et la conquête des marchés a pris la place des conquêtes territoriales. Elle oriente chaque jour davantage la politique internationale.
Nouveaux intérêts et nouvelles stratégies géoéconomiques des États
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Depuis la fin de la Guerre froide, les États ont réorienté leurs moyens afin de s’adapter à ce nouveau paradigme. Cette évolution était absolument indispensable, car les enjeux économiques sont devenus pour eux d’une importance essentielle. En effet, ils doivent être capables de préserver :
• leur indépendance économique et culturelle, c’est-à-dire leur liberté d’action et le modèle de société qu’ils se sont choisi ;
• leur capacité à innover et à produire, grâce à une base industrielle et technologique solide ;
• leur prospérité et leurs ressources, lesquelles conditionnent leur capacité d’action mais aussi leur stabilité et leur cohésion interne ;
• leur sphère d’influence politique, économique ou culturelle, s’ils en ont une, qui leur confère leur rôle international.
Ce n’est qu’en préservant l’être et l’agir du collectif national que l’État assure sa pérennité et remplit son rôle. Le retour de l’économie comme principal terrain de la compétition entre les nations l’amène donc à soutenir les acteurs économiques nationaux. Il s’agit autant de les protéger des menaces que de leur permettre de saisir toutes les opportunités de développement en leur garantissant un accès libre et permanent aux marchés mondiaux.
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Mais le contrôle des marchés n’est pas le seul défi à relever. Dorénavant, la technologie est devenue l’un des enjeux majeurs de la compétition mondiale, pour des raisons économiques mais également parce que l’indépendance technologique est devenue la clé de la souveraineté. En effet, les technologies émergentes constituent un formidable levier d’innovation et leur maîtrise peut être dorénavant considérée comme aussi primordiale pour le statut de puissance que la capacité à projeter des forces militaires à l’échelle de la planète.
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La sécurité et l’indépendance des nations se trouvent désormais concernées par des technologies de pointe qui se révèlent être à la fois fondements et enjeux de pouvoir. L’acquisition d’avantages scientifiques et technologiques dans un certain nombre de secteurs clés offre à ses détenteurs une position dominante sur la scène internationale. Un acteur qui découvre et exploite le premier une nouvelle technologie, s’approprie la mainmise sur l’essentiel de ses applications et crée pour lui-même d’importants avantages industriels et commerciaux.
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Longtemps apanage d’une minorité de domaines qualifiés de « secteurs de pointe » – le plus souvent de nature militaire et portés par la course aux armements – les hautes technologies sont désormais présentes dans tous les domaines industriels. En premier lieu, les TIC sont au cœur des enjeux de pouvoir planétaires : plus que la force militaire, que la puissance économique ou que les ressources en matières premières, c’est la maîtrise des systèmes d’information et de communication qui crée les conditions les plus appropriées de la suprématie mondiale.
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Dans le nouveau contexte de compétition économique, les choix technologiques s’affirment comme des décisions stratégiques de première importance et la compétitivité des secteurs de pointe apparaît comme le premier indicateur de la capacité d’une économie ou d’une entreprise à tirer parti de l’innovation. Ces technologies et les politiques industrielles qui les sous-tendent apparaissent désormais comme un critère essentiel du dynamisme des nations et de leur place dans le monde moderne.