Notre Vie au long cours
Sophie Desestoiles
Ma page d'accueil Dessins et peintures Mon expérience Vies parallèles livres publiés Liens Livre d'or
Mémoire superficielle et mémoire profonde
« J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que des soleils marins teignaient de mille feux ».
Baudelaire
Pendant longtemps je voyais sans voir, je ressentais sans savoir, je cherchais sans définition préalable quelque chose, quelqu’un qui fût non une réponse ferme et fermée mais au moins un tremplin.
Dans cet état de perceptions, je me trouvais alors dans ce plan de la conscience ordinaire, enfin pas tant que cela car, depuis l’enfance, ma réflexion intérieure et certaines expériences psychiques dont je ne parlerai pas ici pour ne pas disperser ma pensée ni la vôtre, ne me permettaient pas de m’en tenir au masque têtu pour les uns, ténu pour quelques autres, des apparences. Disons que je vivais comme vous dans la mémoire consciente superficielle, celle qui s’appuie sur des souvenirs conscients accumulés depuis la naissance, depuis ce qu’on nous dit être, dans nos civilisations, le début de nos existences, voire avec les progrès de la psychologie moderne , en reconnaissant une conscience et des perceptions prénatales.
Pourtant, déjà, au delà de cet espace temporel délimité par cette croyance ambiante, à travers le contrôle raisonnable de l’esprit sur ce qu’il croit être « moi », des sensations fugitives, des sentiments sous-jacents, mais dénués de sens explicable, me traversaient parfois.
Les lieux, certes, agissent sur notre mémoire profonde : certains lieux m’attiraient , me laissaient rêveuse, songeuse d’une songerie qui ignore son objet. A rebours, telle ville me faisait frissonner tout en exerçant sur moi une attraction inquiète : une nuit, j’y fis un rêve extraordinaire.
A présent, je comprends que de ces lieux capables de faire vaciller la stabilité de notre conscience immédiate, celle qui se rattache à la vie actuelle, il en est de deux sortes :
ceux qui portent en eux la trace assez intacte du passé, ou sa force même par delà les altérations des époques successives ,ceux où nous vécûmes intensément et qui ébranlent en profondeur notre psyché, sans pour autant que le voile d’oubli ne se soulève. Ainsi, dans cette période d’immense quête, où m’étant libérée des entraves qui longtemps m’avaient retenue, j’avançais écoutant mon cœur, c’est à dire l’intelligence supérieure, « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », je me rendais quelquefois à Royaumont ; dans ce domaine harmonieux et serein, de pierres douces encloses par des arbres majestueux, je me sentais étrangement bien, dans un lieu familier où je me plaisais à m’attarder. J’aurais voulu pouvoir y dormir, car la nuit, quand s’éloignent les humains et leurs bavardages, l’âme des lieux, la mémoire des choses deviennent sensibles à qui sait les écouter. En même temps que le parfum du passé m’enivrait doucement, cette abbaye conservait à un degré supérieur la présence de celui que j’allais retrouver bientôt. C’était peu avant ce voyage en Orient qui allait m’éblouir et me rendre la vue , la vraie conscience : « un éclair puis la nuit ». J’ai été éblouie, puis comme aveuglée au point que je crus perdre la vue, et brusquement j’ai vu, j’ai su , une évidence, mais de cela qui est immense, je parlerai à un autre endroit.
Il semblerait que les moments les plus forts c’est-à-dire les rencontres majeures, nous soient annoncés, ou que nous en ayons le pressentiment. J’avais justement lu cet été-là dans la page culturelle d’un quotidien que Léonard Cohen avait écrit « Suzanna » peu avant de rencontrer celle qui se prénommait ainsi. Beaucoup d’entre nous ont eu, je crois, le pressentiment d’un grand bonheur ou d’un grand malheur, ce qui ouvre une réflexion abyssale sur les échanges télépathiques, sur la linéarité supposée du temps, sur l’ignorance ou la connaissance enfouie de notre destinée, et donc sur la question la plus philosophiquement infinie de la liberté humaine ou d’un destin implacable, du fatum ou du libre-arbitre.
D’autres lieux tiennent leur force, non pas tant de l’accumulation de moments passés, de la sédimentation en quelque sorte des émotions vécues, mais de la présence d’un être éveillé et émetteur, qui de ce point de l’espace rayonne, émet et qu’un autre être également éveillé et sur la même fréquence reçoit.
Ainsi, quelques années auparavant, alors que je ne me doutais de rien et vivais simplement dans le présent, un jour, en passant dans la montagne, près