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Les jours suivants, il prenait naturellement place à ma table après le départ deshabitués. Son histoire s'allongeait. À Montréal, il avait fait croire à son décès pour secouvrir et permettre à sa famille de profiter de son assurance-vie. Il pensait souvent àcette première famille et il avait quelquefois eu envie d'aller rôder de ce côté sous undéguisement quelconque pour voir ce que chacun devenait. Un mythomane, me disais-je. Ila lu cette histoire dans le journal et il a décidé de se l'attribuer.Les semaines passaient, bientôt les mois. Je songeais à rentrer à Montréal quandnotre ami Joël Cambus annonça sa visite.- Le printemps à New York, mon vieux, tu ne connais pas ta chance. À Montréal, ona encore de la neige jusqu'aux genoux.Il passa une semaine avec nous et sa bonne humeur nous enchanta. Après deuxjours, je le laissai courir les rues et les boutiques avec Chantal et je repris mon propreitinéraire.- Jules n'allait certainement pas laisser tomber son vieux Harry toute une semaine,avait lancé Chantal quelques jours plus tard.Pourtant, elle savait que mon besoin de retrouver mes habitudes allait bien au-delàdes êtres et de l'intérêt qu'ils pouvaient susciter. À la rigueur, le pauvre Harryreprésentait peu de chose pour moi. Tout au plus faisait-il partie d'un environnementdevenu familier. Mais il fallut raconter à Joël l'histoire du vieux Harry, et il insista pourm'accompagner au café dès le lendemain matin.- Tu te rends tous les jours chez ce vieux Harry, et tu prétends qu'il ne se passe rienà New York ?- Rien d'intéressant pour moi, en effet.- C'est ce qu'on va voir.Après un quart d'heure dans le café :- Tu as raison, il est plus que banal, ton type.- Je te l'avais dit. Qu'est-ce que tu espérais trouver?- Je ne sais pas. Je cherche.Sa mine d'inquisiteur était comique à voir. Il plissait les yeux et examinait chacunavec un air entendu. Harry m'avait lancé au passage :- Alors, Montblanc, on emmène sa visite ?Mais il s'était abstenu de venir à notre table. J'étais plus gêné que je ne voulais mel'avouer par la présence de Cambus et j'insistai pour quitter la table dès la dernièrebouchée avalée.Le soir, je parlai de notre retour à Montréal.- Justement, je voulais te dire : ne te presse pas. Ils ont tourné un film à partir duroman, il est présentement à l'affiche et il semble marcher assez bien, alors je teconseille d'attendre encore deux ou trois mois. En fait, tu devrais m'appeler avant derentrer. De toute façon, je suppose que l'éditeur continue de mettre de l'argent à toncompte ?- Oui, il en dépose régulièrement.- Alors, c'est la retraite dorée. Qu'est-ce que tu veux de plus ?Je ne répondis pas. Je m'étonnai du ton assuré de la voix de Cambus qui mesemblait être - ironiquement - la voix de mon destin.En septembre, la voie fut libre et nous pûmes enfin rentrer à Montréal. Chantal reprit sonposte, claironnant à tout venant les bienfaits des congés sans solde. De fait, elle rayonnait etce n'était pas facile de savoir si c'était le séjour à New York ou la rentrée qui lui allait si
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