2/La sécurité collective par la diplomatie économique
parMichel Sapin
Député de l’Indre, secrétaire national du Parti socialiste à l’économie et à la fiscalité, ancien ministre de l’Économie et des Finances (1992-1993).
la diplomatie économique n’est à l’évidence pas chose nouvelle dans le monde contemporain et la France y a traditionnellement joué un rôle important. Il en fut ainsi avant même que la Deuxième Guerre mondiale ne fût achevée avec ses destructions massives et ses traumatismes profonds lorsqu’il s’est agi de reconstruire ou plus exactement de construire un ordre monétaire international et plus largement des organisations internationales susceptibles de porter en elles les débats nécessaires et les régulations adaptées. Il en fut également ainsi lorsque la marche vers une Europe unie a pu se résumer en la construction d’un marché commun et d’un espace économique européen.
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Il ne s’agit donc pas de réinventer la poudre alors que depuis les années 1950 la négociation économique aura été au moins aussi intense à tous les niveaux que les négociations plus strictement politiques (Guerre froide, désarmement, décolonisation, résolution des conflits locaux, etc.). Cependant, deux phénomènes font qu’aujourd’hui la diplomatie économique devient la diplomatie tout court et mobilise les efforts d’imagination, de proposition et d’action.
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Premièrement, la diminution des tensions politiques internationales avec tout particulièrement la fin d’un monde bipolaire Est-Ouest s’est accompagné parallèlement d’une augmentation des déséquilibres économiques, financiers, commerciaux, environnementaux sur une planète désormais totalement mondialisée et interdépendante où aux côtés des puissances traditionnelles, États-Unis, Russie, Europe, s’affirment de nouvelles puissances continentales, Chine, Indre, Brésil.
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Deuxièmement, la crise qui frappe le monde et plus particulièrement les vieilles économies a fait apparaître de profonds déséquilibres accumulés au cours des dix, vingt dernières années et qui sont porteurs d’une insécurité économique considérable. Chacun doit l’avoir en tête, contrairement aux paroles lénifiantes que l’on peut entendre ici ou là, le monde n’est pas sorti de la crise, l’Europe n’est pas sortie de la crise, la France n’est pas sortie de la crise ! Nous sommes en pleine crise et nul aujourd’hui ne peut en prédire la fin même s’il est possible d’affirmer que cette fin ne naîtra que d’une nouvelle sécurité économique mondiale pensée dans la coopération internationale et mise en œuvre par des institutions internationales. La sécurité collective de demain sera le produit d’une diplomatie économique performante, audacieuse, indispensable. La sécurité du monde, hier face à la décolonisation et à la Guerre froide, passait par la construction et l’animation de l’Organisation des Nations unies. La sécurité du monde de demain face aux déséquilibres économiques, financiers, commerciaux et environnementaux passera à l’évidence par la construction d’une nouvelle organisation des économies du monde. Et la France peut et doit prendre sa part à l’intelligence et à l’action pour aller dans cette direction.
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Penser organisation, coopération pour limiter les effets du chacun pour soit, penser la construction de puissances publiques européennes et internationales, imaginer les régulations nécessaires qui limitent les effets douloureux pour tous du seul fonctionnement du marché par ailleurs imparfait ! Dans un tel contexte, les socialistes et les sociaux-démocrates de tous pays et de toutes traditions ne peuvent que se sentir à l’aise pour participer à cette réflexion et en revendiquer même, démocratiquement, la mise en œuvre. Nous sommes là au cœur des valeurs de la gauche, nous sommes donc là au cœur de la réflexion et de l’action des socialistes français ; des valeurs de gauche qui sont comme bien souvent des valeurs universelles et qui peuvent rassembler bien au-delà des hommes et des femmes de gauche et mobiliser tous ceux et toutes celles que la construction collective d’un avenir commun passionne.
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Les grands déséquilibres économiques du monde d’aujourd’hui, qui sont à l’origine de la crise et contribuent encore à l’aggraver, se résument simplement. D’un côté, se trouvent de grands pays souvent émergents qui construisent leur développement économique sur un marché intérieur réduit, des exportations massives, des excédents considérables de leur balance des paiements, des réserves gigantesques de devises dans les caisses des États. De l’autre, se situent des pays aux marchés intérieurs dynamiques, fortement importateurs des produits adaptés au goût et au pouvoir d’achat de leurs consommateurs, des balances de paiement profondément déficitaires, un endettement massif des ménages et des États. L’équilibre entre ces déséquilibres passe par des transferts massifs, des mouvements financiers colossaux, la mise en œuvre d’outils bancaires manipulant des masses de capitaux considérables et qui trouvent là l’occasion à chaque instant de spéculations débridées, le tout dans un monde qui a amoindri profondément toutes ses régulations monétaires, financières et bancaires. Une balance entre des économies déséquilibrées tenues en main par un marché dérégulé, telle est l’image du monde d’aujourd’hui.
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Tout n’est pas à faire mais beaucoup doit être construit et le plus gros reste à faire, le plus difficile aussi.
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Et d’abord, c’est le domaine monétaire qui doit être désormais la priorité de toute diplomatie économique. Il ne s’agit pas de revenir à Bretton Woods, au temps où le monde ne connaissait qu’une monnaie conquérante, le dollar, à côté d’une monnaie déclinante, la livre, et où la construction d’un système monétaire international pouvait s’ordonner autour d’un étalon, le dollar. La caractéristique de la situation actuelle tient en la multiplicité des monnaies susceptibles de participer activement à la construction d’un système monétaire commun, l’euro, le dollar, le yen, le yuan chinois, sans oublier le rouble où d’autres encore qui sont en train de s’affirmer. Nous avons devant nous une situation désordonnée mais comparable à celle que pouvaient connaître les Européens après l’effondrement du système de Bretton Woods et avant la construction de la monnaie unique. La diplomatie économique dans le domaine monétaire doit donc promouvoir une forme de nouveau serpent monétaire mondial à l’image du SME de naguère, susceptible de dégager progressivement par la concertation, la prise en compte des intérêts mutuels et des valeurs réelles des monnaies, la voie vers un panier de monnaies qui deviendrait le nouvel étalon mondial.
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La deuxième priorité est à l’évidence celle de la régulation des activités bancaires et des transactions financières. Ce travail a déjà commencé avec l’élaboration par les régulateurs nationaux et les banques centrales de ce qu’il est convenu d’appeler Bâle III. Mais cette négociation réussie que les puissances du G20 ont souhaitée lors du sommet de Séoul voire mise en œuvre par chacun des pays concernés n’est que l’esquisse d’une ébauche de ce qu’il conviendra de faire. Deux grands domaines doivent faire l’objet d’une mise en œuvre rapide d’une régulation adaptée :
• imposer aux banques dont la taille et l’importance des engagements sont telles que leur effondrement mettrait en cause tout le système bancaire mondial, des normes prudentielles adaptées aux risques colossaux qu’elles représentent pour le système tout entier. Il est évident que ces établissements doivent faire l’objet de règles prudentielles beaucoup plus drastiques et lourdes que des établissements de moindre taille dont l’effondrement n’aurait de conséquences que pour leurs actionnaires. De bonnes paroles ont été prononcées à Seoul lors du dernier G20 mais tout le chemin reste encore à parcourir ;
• lutter contre les paradis fiscaux et les fonds de gestion qui se placent hors du champ de toutes régulations nationales ou internationales. À quoi servirait-il de construire une puissance publique monétaire mondiale, de mettre en place des régulations financières sévères, de renforcer par le contrôle des autorités nationales ou internationales la transparence des outils financiers et des transactions, si par ailleurs quelques îles exotiques, quelques portions de territoires continentaux continuent à échapper à toute autorité et à agir aussi impunément qu’aujourd’hui. Quelques progrès ont été faits au cours des derniers mois au sein de l’OCDE mais de la coupe aux lèvres il y a encore loin.
Deux autres grands enjeux doivent être traités :
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La question environnementale dont chacun sait qu’elle ne peut être abordée de manière efficace qu’au niveau mondial, les nuages de CO2 ne s’arrêtant pas aux frontières de chacun des États. Cette question est à relier à deux autres considérations :
• la volatilité du coût des matières premières qui trouve son ampleur certes dans la spéculation, mais trouve son origine dans la rareté des ressources de la planète ;
• les conséquences en termes d’équité du commerce mondial dès lors que certaines productions seraient soumises à des réglementations drastiques en termes environnementaux alors que d’autres continueraient de trouver leur avantage comparatif dans un laxisme de la réglementation environnementale nationale.
Ces questions environnementales ont commencé à être abordées puissamment lors des grandes conférences internationales. Mais, en ce domaine-ci aussi, a pu être constaté la difficulté d’adopter des règles communes précises et contraignantes.
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L’élaboration, le suivi et la mise en œuvre de l’ensemble de ces coordinations et de ces règles nouvelles rendent nécessaires l’adaptation des institutions internationales à de nouvelles missions voire même la création d’institutions nouvelles. Ainsi :
• la réforme du FMI doit être poursuivie non seulement pour en achever l’adaptation de sa gouvern