Très gentil, prévenant… Au début
« Il fallait que je l’appelle Dieu. Ou Anaconda. Évidemment, aujourd’hui, avec le recul, ça paraît aberrant. Comment en suis-je arrivée là ? Comment me suis-je laissée humilier comme ça, sans rien dire ? Au point de n’être plus qu’une esclave ? De perdre tous mes repères ? Et en donnant mon consentement ! Eh bien, en réalité, je suis tombée dans un piège, sans m’en apercevoir. Grégoire était malin, il avait tout son temps.
Ce qui est étrange, c’est que, lorsque nous nous sommes rencontrés, en fac de médecine, Grégoire ne m’a pas plu. J’ai eu une très mauvaise intuition. Il était plutôt froid, arrogant, prétentieux. Pas du tout mon type ! Et puis, tout à coup, un jour où ça n’allait pas fort, je crois, il s’est rapproché de moi. Et il s’est montré très gentil, prévenant, comme s’il voulait m’aider, me soutenir. Ce premier revirement a engendré la première confusion, le premier sentiment de culpabilité. Déjà, je ne comprenais pas. Déjà, je me disais que j’avais eu tort, que je m’étais trompée sur son compte. C’était un homme bien et j’avais pensé le contraire.
La sensation d’être une privilégiée
Mieux encore, il me choisissait. Moi ? Moi qui n’avais aucune confiance en moi ? J’avais la sensation d’être une privilégiée. Il était si séduisant, il impressionnait, il en imposait. J’avais le sentiment qu’il me faisait une fleur. Est-ce que j’étais heureuse ? Peut-être. Flattée en tout cas. Il me donnait ce dont j’avais besoin, ce dont j’avais envie. De l’assurance d’abord, de l’entrain. Il me faisait croire qu’avec lui, tout irait bien. C’était une bouffée de bonheur et d’oxygène. Mais un mensonge.
Car le cercle vicieux n’a pas tardé à commencer, me perdant un peu plus chaque jour. Le comportement de Grégoire était insensé. Cyclique, plutôt. Car il y avait toujours ces mêmes phases qui recommençaient sans cesse. La phase romantique, de séduction, où tout allait bien, il était amoureux. Puis elle s’estompait parce qu’immanquablement, je le décevais (un vêtement, un mot, peu importe). Alors, commençait la dévalorisation, la culpabilisation, l’humiliation, et pour finir l’agressivité. Et puis, parce qu’il avait besoin de moi, parce qu’un bourreau a toujours besoin d’une victime, il acceptait de revenir, il daignait recevoir les excuses que je ne manquais jamais de lui présenter. Nous pouvions alors être amoureux de nouveau. Avant que, immanquablement…
Ne pas le contrarier
Le piège, il est là, je crois. Grégoire pouvait être un ange. Et c’est cela que je voulais retrouver. Ou ne jamais perdre. Je devais tout faire pour le rendre heureux, cet homme, lui plaire, le garder, le contenter, le satisfaire. Peu à peu, on s’oublie, on disparaît, sans s’en apercevoir. On ne réfléchit plus, on devient un pantin. Et surtout, on a peur.
Je vivais dans la crainte qu’il m’abandonne. J’étais sur le qui-vive en permanence, j’anticipais chaque situation. Surtout, surtout, ne pas le froisser, ne pas le contrarier. Parce qu’alors, les conséquences seraient douloureuses. Et puis, oui, j’avais peur de le perdre. Quand on entend qu’on n’est rien sans l’autre, sans doute finit-on par le croire…
Le truc, c’est qu’il est impossible de comprendre un comportement qui n’a pas de sens. Alors, je lui trouvais des excuses. Je me disais que Grégoire était un homme en survie finalement, qu’il manipulait parce qu’il s’était senti délaissé par des parents absents, mis de côté par ses frères. Je croyais qu’il avait une faille, comme moi, mais que lui vivait selon un schéma « C’est eux ou moi ! » Et puis, pour que tout ça reste vivable, tenable, il n’y a pas d’autre choix que de penser que le problème vient forcément de soi. Sinon, faute d’explication, le risque est de tomber dans la folie.