L’institutionnalisation du G20 sera lente et peu consensuelle
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L’enthousiasme des débuts à l’égard de tous les clubs a cédé la place à bien des interrogations et a un certain scepticisme sur les mécanismes de réordonnancement. D’une part, il y a des doutes croissants sur la capacité du G20 comme des autres « G » à agir dans leur cœur de compétence économique et financier : les divergences persistent sur les réponses économiques à la crise ; le G20 a été marginalisé dans la « guerre monétaire » la plus récente et, enfin, la possibilité d’afficher une action économique crédible à Séoul n’a pas convaincu les marchés, en dépit des efforts sud-coréens pour instituer un filet de sécurité financière.
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Le G20 des chefs d’État et de gouvernement a été créé pour répondre à la situation d’urgence née de la crise, pour conjurer les tentations protectionnistes, pour faciliter la concordance (plutôt que la coordination) des réponses au marasme, pour engager une réforme ordonnée de la régulation des banques et de la finance. Dès lors, le test futur et légitimateur sera pour le G20 de se montrer capable de se doter d’un agenda commun aux « anciennes » et aux « nouvelles » puissances et de donner des impulsions décisives sur des questions déterminantes au vu des enjeux globaux mais aussi au regard des intérêts de chacun. Encore faut-il que tous y mettent du leur. Les « poids lourds du G20 », États-Unis et BRIC, ne semblent pas disposés à en élargir le mandat à court terme.
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Les États-Unis, après avoir exercé un leadership décisif, émettent des messages contradictoires. En dépit du soutien de principe au G20, une orientation plus favorable aux relations bilatérales et au maintien d’un G8 fort a de nombreux partisans à Washington. Quant aux pays des BRIC, ils voient le G20 comme un « forum parmi d’autres », devant garder une vocation économique. Ils exigent la prise en compte de leurs priorités, sans proposer de vision claire ni de modèle de substitution, ce qui par ailleurs sera un lourd handicap s’ils veulent consolider leurs propres regroupements.
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Cette réalité politico-économique rappelle que le G20 n’est pas un G7 à 20. La transition du G8 vers le G20 reste théoriquement souhaitable mais à l’horizon de quelques années, le G8 demeurera central, au moins par défaut. Premièrement, pour les questions politiques et de sécurité, en raison de la difficulté d’obtenir des positions du G20 sur des crises majeures (ex. Iran, non-prolifération ou terrorisme). Deuxièmement, pour les questions de développement. Malgré les avancées de la présidence sud-coréenne, plusieurs membres du G20 se considèrent encore comme des pays en voie de développement. À ce titre, ils refusent de partager l’objectif politique mais aussi le fardeau financier de l’aide aux pays les plus démunis voire les financements innovants afférents.
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En raison du contexte lié à sa création, le G20 n’est pas, comme l’était le G7 même élargi à la Russie, un club partageant les mêmes valeurs (likeminded). L’opposition des BRIC à la promotion des valeurs partagées par le G7 (ex. démocratie, non-prolifération, etc.) signe pour les démocrates leur manque de qualification pour jouer un rôle central dans la gouvernance mondiale et va accroître leur exigence d’un prix à payer pour le statut de nouvelle puissance. S’il n’y a pas de convergence des valeurs qui fondent le ré-ordonnancement du monde alors on peut redouter un affaiblissement de la gouvernance mondiale plutôt que son renforcement. Cette divergence politique sera explicitement imputable à l’intégration non préparée des puissances émergentes au sein du G20 et bloquera les réformes les plus ambitieuses et les plus indispensables. Dans ce contexte, l’asymétrie des valeurs va nourrir la pérennisation et la prolifération d’institutions transnationales à géométrie variable. Elle va aussi limiter la probabilité de voir les dossiers « dépaysés » d’une organisation à l’autre et contourner les blocages durables que l’on observe, depuis plusieurs décennies maintenant, aux Nations unies, à l’OMC et les institutions de Bretton Woods. Pour parvenir à ré-ordonnancer efficacement la gouvernance mondiale, il faut le faire sur des principes communs comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale avec le traité de San Francisco. Il conviendrait également de conduire cette politique avec les États mais également les citoyens et leurs représentants. Or, aujourd’hui, la cinétique diplomatique qui préside au ré-ordonnancement de la gouvernance demeure encore largement accaparée par les États même si les sociétés civiles contestent ce monopole. On va donc assister à la fois à la multiplication de « ponts » interorganisations, d’instances de dialogue entre institutions interétatiques mais également à la recherche des voies et moyens d’associer les associations citoyennes désireuses de contribuer davantage aux débats. Une « révolution démocratique » qui va complexifier un peu plus le nouveau multilatéralisme.
Résumé
Français
Dans un monde décardinalisé, les institutions transnationales interétatiques se multiplient. Tout en fragilisant les Nations unies, elles recompartimentent les espaces économiques et politiques et esquissent un ré-ordonnancement de la gouvernance mondiale. À ce jeu, le G20 est devenu l’organisation primus inter pares mais n’en est pas moins contestée par ce qu’il faut bien convenir d’appeler un G173. Afin d’asseoir sa légitimité et démontrer son efficience, le forum dont la France vient de prendre la présidence pour un an doit institutionnaliser des relations régulières et transparentes avec l’ONU, ses États membres, d’autres organisations régionales de coopération mais aussi faire surgir chez les puissances émergentes nouvellement reconnues un sens plus aigu des responsabilités mondiales, corollaires de leur nouveau statut.