Retour sur "La Sainte Ignorance" d'Olivier Roy
Publié le 26 octobre 2009
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Chose promise, chose due… j’ai travaillé pendant le week-end et j’ai fini cette petite note sur le livre d’Olivier Roy (deux autres doivent normalement suivre). Dans les lignes qui suivent j’interroge essentiellement l’usage qui est fait du terme de « fondamentalisme », en particulier dans le champ du Christianisme. Il me semble que par souci de clarté il faudrait conserver ce terme pour le courant originel au risque de perturber la compréhension des mouvements évangéliques. Je reviens également sur la thèse d’Olivier Roy concernant le rapport à la culture, cette fameuse « sainte ignorance ». Le chercheur postule un arrachement des courants néopentecôtistes et charismatiques de la culture, je fais ici l’hypothèse inverse. Le succès vient justement d’une capacité à s’approprier la culture profane pour la rendre religieuse.
L’ouvrage d’Olivier Roy est construit autour de deux parties principales, chacune d’elle abordant de manière autonome un questionnement initié en introduction. Alors que la première partie (« L’inculturation du religieux ») interroge directement les relations entre une religion et la société globale, la seconde (« La mondialisation et le religieux ») s’intéresse aux effets de la mondialisation sur la religion.
L’entrée dans le livre se fait en deux temps au travers un double seuil : un avant propos et une introduction. L’avant-propos fait entendre la voix de l’auteur. Il y rappelle les circonstances ayant conduit à la rédaction du livre. On apprend ainsi que ce dernier est le fruit d’une vie et d’une série de rencontres, notamment avec un jeune évangélique quelque peu « illuminé ».
Les dernières lignes de l’avant propos posent les questions centrales qui reviendront tout au long de l’exposé : « Comment penser la religion dans l’ordre social ? Peut-on la ramener dans le cadre des autres systèmes symboliques (la culture) ? Peut-elle se développer dans son propre champ (le privé, la communauté de foi ou bien un autre monde, dans un autre espace) sans entrer en conflit avec les autres systèmes symboliques ? » (p. 14).
Plan de l’introduction
L’introduction, sous-titrée : « Modernité, sécularisation et retour du religieux », laisse place à la voix du chercheur qui jette les bases du livre selon 5 points principaux :
1. Le premier ne porte pas de titre et se présente sous la forme d’un étonnement initial quant au religieux dans les sociétés contemporaine, l’étonnement constituant après tout le meilleurs point de départ de toute recherche.
2. « déterritorialisation et déculturation » : Olivier Roy y présente deux concepts forts de son livre.
3. « un pur religieux ? » : ce pur religieux est essentiel dans l’économie d’ensemble du livre puisqu’il désigne l’aboutissement d’une tension fondamentale entre la culture et le religieux. ce « pur religieux » constitue l’étape suivant la déterritorialisation et la déculturation puisque « les textes sacrés doivent pouvoir parler en dehors de tout contexte culturel. On assiste donc à un processus de déculturation des textes sacrés » (p. 25).
4. « comment transmettre ? » ou comment garder le contenu tout en modifiant le contenant.
5. « les nouveaux convertis » : Olivier Roy conclut l’introduction par la question des conversions, notamment les passages d’une religion à une autre et d’une tendance à une autre au sein d’une même religion. Il est ici important de souligner que la « conversion est au cœur de la déconnexion entre la religion et le culturel. Il n’y a plus de connexion automatique entre culture et religion. Le marqueur religieux est libre et flottant» (p. 35). Et cela est possible parce qu’il y a eu l’émergence d’un « pur religieux », c’est à dire un religieux déconnecté de ses racines culturelles initiales.
Dans les lignes qui suivent je reviens sur le lien entre le fondamentalisme (en prenant soin de resituer le fondamentalisme chrétien dans son contexte) et la culture (avec ce problème de définition du terme), pour ensuite questionner l’expression de « pur religieux », et enfin proposer une thèse : ce qui caractérise les mouvements pentecôtistes et charismatiques ce n’est pas tant une sortie de la culture qu’une capacité à s’approprier la culture sous toutes ces formes.
Culture et fondamentalisme
L’idée défendue par Olivier Roy est que le fondamentalisme s’est mondialisé parce qu’il pousse à bout le principe de déculturation. Le terme de fondamentalisme est employé dans bien des situations. Comme le souligne Judith Nagata le terme de fondamentalisme “has recently undergone metaphorical expansion into other domains and, depending on whose voice is being heard, may be applied to extreme forms of nationalism, certain socioreligious (especially Islamist) movements, and other forms of extremist ideological expression” (Judith Nagata, “Beyond theology: toward an anthropology of fundamentalism”, American Anthropologist, 2001, 103(2): p. 481). Il est donc important de revenir sur l’origine du fondamentalisme, à savoir une forme particulière de l’évangélisme américain. Le terme est issu d’un ensemble d’ouvrages (12 volumes) « the Foundamentals » publiés entre 1910 et 1915. Ces derniers devaient selon les auteurs et les éditeurs constituer un « témoignage à la Vérité ».
Le Fondamentalisme (j’utilise le F capital pour souligner que je parle d’un courant religieux et théologique historiquement et spatialement situé) prend sa source dans une crise profonde de l’univers évangélique du Nord des Etats Unis à la charnière des 19ème et 20ème siècle. On peut établir une chronologie en deux temps : d’abord la mise en place de cette crise à partir des années 1870 et ensuite ce qu’on a appelé « the fundamental/Modernist split » (split : rupture) à la sortie de la Première Guerre mondiale. Cette crise opère dans deux directions : le rapport du religieux à la science (que faire de la théorie évolutionniste ?) et la question de l’attitude à adopter face aux approches critiques du texte biblique. On voit ainsi que le Fondamentalisme est inséparable du contexte culturel. Par ailleurs, la Première Guerre mondiale constitue un tournant essentiel car elle permet aux défenseurs du Fondamentalisme de dénoncer la technique et la philosophie matérialiste qui l’accompagne d’avoir mené à la barbarie.
Enfin, il faut ici souligner un élément central : les Fondamentalistes ne sont pas des Pentecôtistes. Un des traits distinctifs entre les deux courants concernent l’autorité de la Bible : pour les Fondamentalistes les signes miraculeux (comme le parler en langue et les miracles) se sont achevés alors que la rédaction et la compilation de la Bible étaient achevés. Les Pentecôtistes, au contraire, affirment que Dieu continue de se révéler à travers les prophètes. Ainsi, les Fondamentalistes mettent en avant la doctrine, tandis que les Pentecôtistes mettent l’accent sur l’expérience. Dans la Sainte Ignorance, l’usage du terme n’est pas toujours clair : on ne sait jamais parfaitement s’il est question d’un emploi élargi du terme, ou s’il s’agit d’une référence au Fondamentalisme américain. Et c’est dans l’introduction que l’on peut reprocher à l’auteur de faire un abusif du terme de « fondamentalisme ». On lit ainsi p. 19 : « On observe un glissement des formes traditionnelles du religieux vers des formes de religiosité plus fondamentalistes et charismatiques (évangélisme, pentecôtisme, salafisme, Tabligh, néosoufisme) ». On peut se demander en quoi l’évangélisme n’est pas une forme « traditionnelle du religieux », et on peut surtout s’étonner de cette étonnante assimilation des évangéliques aux fondamentalistes et aux charismatiques.
Il semble raisonnable, quand on parle du Protestantisme, d’employer le terme dans son sens originel. Si on procède ainsi, la thèse d’Oivier Roy (ce sont les fondamentalismes religieux qui profitent le mieux de la mondialisation) doit être revue : le Fondamentalisme ne connaît pas réellement de croissance, ce sont avant tout les églises et les courants néo-pentecôtistes et charismatiques qui rencontrent un fort succès.
Avant de questionner l’expression « pur religieux » je reviens un instant sur la tension constitutive au sein du Fondamentalisme entre le religieux et la culture au travers deux textes tout à fait éclairant sur la question, chacun traitant du Fondamentalisme dans sa tension avec la culture : Fundamentalism & American culture de George Marsden (1980, Oxford University Press et The Book of Jerry Falwell : fundamentalist language and politics de Susan Harding (Princeton University Press, 2000). Tous deux s’attachent à rendre compte de cette tension mais à deux moment charnières du Fondamentalisme : le premier au début des années 1900, c’est à dire lors de la mise en place du courant, le second dans les années 1980, moment du retour des Fondamentalistes dans la vie publique américaine, par le biais notamment de la Moral Majority de Jerry Falwell.
Le livre de Marsden constitue une référence pour qui veut comprendre précisément ce qu’est le Fondamentalisme. Il commence par rappeler que “to understand fundamentalism we must also see it as a distinct version of evangelical christianity uniquely shaped by the circumstances of America in the twentieth century”. Le livre est tout entier traversé par cette question lancinante : comment définir la position du croyant et des Eglises par rapport à la culture globale ? Le dernier chapitre de la seconde partie de l’ouvrage s’intitule « Christianity and culture » se présente sous la forme d’une typologie dont le critère est le positionnement par rapport à la culture globale. Marsden écrit “It may be more illuminating, however, to look at these divisions in the context of the spectrum of opinion on an issue central to the present inquiry, the relation of Christianity to American culture. Sh